En Juillet 2010 Bérangère, une brillante étudiante en journalisme me contacte pour parler de mon travail qu’elle apprécie beaucoup.
Interview de Jérémie Baldocchi
Jérémie Baldocchi est un jeune artiste de tout juste 35 ans. Très tôt, il se désintéressa de l’école pour se consacrer au dessin. Intégrant un établissement privé dès 16 ans, il perfectionna son graphisme …
Aujourd’hui, il expose ses toiles aux personnages si curieux, disproportionnés et fascinants.
Cet artiste a bien voulu répondre à ces quelques questions :
Propos recueillis par bérangère.b
1- Lorsqu’on regarde vos toiles, on remarque avant tout les couleurs avant les formes. On se sent happé par un monde coloré, un monde teinté. Est-ce que pour vous la couleur apporte plus de sens au tableau que les formes ?
Bien que les couleurs soient très importantes, les formes de mes personnages sont, elles, bien évidemment essentielles à mes images/interview-2. Certains diront que justement les couleurs vives me servent à mieux faire accepter le coté “morbide” de mes personnages. Ce n’est peut être pas faux je crois plus qu’elles me servent à mettre en valeurs ces corps torturés.
Et en y réfléchissant je pense que j’essaye de démontrer que quelques soient les couleurs de la société qui nous entoure le “mal-être qui est en nous” existe et persiste coute que coute.
2- Vos personnages n’ont pas de tête, pas de visage. On pourrait croire qu’ils n’ont aucune identité. Y a-t-il le désir d’aller au-delà de la singularité, c’est-à-dire le désir de rendre les corps intemporels, presque indéfinis ?
L’être humain, tout au long de sa vie, essaye, du mieux qu’il peut, de garder les choses qu’il pense avoir acquises.
Certains essayent de faire perdurer la jeunesse de leur corps, d’autres, même, rêvent d’une vie éternelle.
Je pense qu’un artiste, plus qu’un autre, a le désir d’exister et de subsister.
Mes personnages sont comme nous, ils ne sont pas hors du temps mais bien au contraire ils sont prisonniers dans un espace temps. Ils sont figés dans cette infime tranche de vie de la même manière qu’une photographie.
Bien évidement la consécration pour moi est de faire perdurer mes images pour qu’elles deviennent éternelles et donc intemporelles mais ça, seul le temps pourra en décider…
3- Vous semblez attiré par le féminin. La rondeur des personnages en témoigne. Vous avez déclaré dans une interview que vous auriez peut-être aimé vous travestir (…) Alors, la peinture est-elle à vos yeux un changement d’identité ?
Petite précision je parlais de déguisements en étant enfant et donc de travestissement.
Il est vrai que j’aurais aimé être une femme mais je me sens très bien en garçon et pour rien au monde je ne changerai.
Par contre je suis fasciné par les travestis qu’ils soient hommes ou femmes c’est le fait de changer d’identité qui me plaît, le fait de changer son image extérieure à l’instar de ce que l’on est à l’intérieur.
Je suis effectivement attiré par tout ce qui est arrondi, pour preuve chez moi je n’ai aucun mur à angle droit.
Le fait de ne représenter quasiment que des femmes est une façon de vivre à travers elles, comme un enfant se racontant des histoires avec ses jouets.
4- Le corps est au cœur de vos toiles. Cela semble être le thème principal. La conception du corps est subjective, expressive : peut-on parler d’une philosophie du corps dans votre art ?
Je me souviendrai toujours d’une des nombreuses remarques de François, ce prof à qui je dois tant.
Lors d’une présentation collective de tableaux sur un thème imposé je m’efforce de lui expliquer ce que j’ai représenté, ce que j’ai voulu raconter. Ensuite après m’avoir longuement écouté il me fait comprendre qu’on n’a pas besoin de tous ces éléments et ces symboles dans l’image. Rien ne sert non plus de rajouter de l’humour pour donner de la force ou même un un sens au visuel que mon style est déjà très imprégné de caractère, mes personnages parlent d’eux même.
Depuis ces paroles font échos dans ma tête. Le corps y est donc juste dévoilé en y ajoutant le moins d’artifice possible.
5- Les femmes sont très présentes dans vos toiles. Cela fait penser au clip « My territory » du groupe Grand Popo Football Club. Confirmez-vous cette analogie ?
Je ne connaissais pas du tout ce clip avant que vous ne m’en parliez.
Il met en scène, de façon ludique, des “bouts” de corps de femme, des jambes, des bouches, des seins, qui semblent vivre d’eux même. Le clip est vraiment bien, il est surtout très loufoque.
Différemment du clip, mes corps sont représentés en entier. Certes les têtes n’y sont pas représentées physiquement mais elles sont fortement présentes. Les hommes eux aussi sont présents, soit dans la pièce d’à coté soit dans la tête de ces femmes qui semblent pourtant être bien seules.
6- Vous avez déclaré dans une interview que « Le corset, entre autre, sert à cela, au delà du fait que c’est une chose typiquement féminine (à mon grand regret). » Or aujourd’hui, certains hommes portent des corsets. Oseriez-vous représenter un masculin féminisé ?
En effet je trouve que le corset est un magnifique accessoire servant à tromper le regard des gens.
Je trouve que les femmes ont bien de la chance, bien qu’étant pour une totale parité entre les deux sexes je ne suis pas convaincu que certains objets, vêtements ou “codes sociaux” puissent s’adapter à tout le monde.
On retrouvera dans mes tableaux 3 types de sexes, les femmes, les hommes et les travestis. Mais même si mes corps sont disproportionnés jamais les hommes ne sont féminisés.
7- Vous peignez des formes disproportionnées. Y a-t-il un désir de sublime, de grandiose et d’exagération de vous-même dans vos toiles ?
Quand j’étais adolescent j’aimais que l’on me regarde, j’aimais être au centre du “monde” mais le temps à bien passé et j’ai laissé ma place pour mettre en avant mon art. C’est tout ce qui compte à présent.
Je ne cherche pas du tout à me mettre en avant dans mes toiles, non loin de là. Je fais régulièrement des autoportraits mais rien de plus c’est juste pour montrer aux autres quelle vision j’ai de moi.
8- Votre inspiration vient-elle uniquement de votre vécu personnel ? Apparemment, vous souffriez jadis d’un problème de poids. Vous avez perdu 40kg en 2 mois. Une telle rapidité peut modifier du tout au tout l’image de son propre corps et le rapport qu’on y entretient. L’art est, pour certains artistes, une projection d’eux-mêmes, une sorte de thérapie. Mais êtes-vous inspiré par autre chose que vous-même ?
Attention il ne faut pas tout mélanger, je pense que mon attirance pour les corps difformes et disloqués a commencé suite à ma perte de poids il y à de cela une quinzaine d’année. En effet le fait d’avoir changé de corps en à peine 2 mois m’a profondément marqué. Mon but n’est pas de mettre, perpétuellement, en scène cette histoire. Je pense plus, comme vous dite, à une sorte de “thérapie”. Je suis inspiré par énormément de choses dont la plupart alimentent mon inspiration. Certaines, par contre étonnement, ne s’y trouvent pas comme par exemple mon goût pour les images/interview-2 et statuts pieuses ou mes collections de baguettes magiques et celles de photos de pigeons écrasés.
Ma vie ne ressemble pas à toutes ses scènes, j’y mets simplement les choses et les couleurs que j’aime.
9- Dans une interview audio, vous avez déclaré « être gros mais vouloir paraître mince socialement ». La minceur, et plus largement l’apparence, est une préoccupation majeure des gens. Y-a-t-il un dégagement de vous-même dans votre peinture qui pourrait s’apparenter à un fantasme d’intégration sociale ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que ma peinture n’est pas très intégrable socialement.
Je ne suis pas non plus quelqu’un de très sociable. Ma vision du monde, il y a moins de 10 ans, était encore idyllique.
Le ciel était rose, il y avait des poneys arc en ciel et des fleurs magiques. Je me rends compte, plus le temps passe, que ce n’était qu’une illusion, comme si ces couches de gentillesse, de générosité et de beauté, étant peintes sur de la saleté, s’écaillaient très vite.
10- D’une certaine façon, ce que vous mettez en scène est laid car exagéré. Cela fait un peu penser à Jérôme Bosh. Les formes représentées n’ont pas ce caractère esthétique que l’on attribue généralement à l’art. Est-ce que selon vous la peinture doit dépasser la notion de beau ? Qu’est-ce que le « beau » pour vous ?
Voilà une question, ma fois, très intéressante, mais malheureusement je n’ai pas de réponse.
Le beau est tellement subjectif. Chacun de nous a une vision tellement différente propre à chacun.
Les uns vont être attirés vers un certain type de formes ou des nuances de couleurs que d’autres vont détester. C’est justement cela qui me fascine, le fait que le monde qui nous entoure ne se reflète pas de la même façon en chacun d’entre nous. J’en viens à me demander, du coup, comment vous percevez ma peinture ? Est-ce que vous y voyez la même chose que moi?
11- Comment qualifieriez-vous votre art : Naïf ? Surréaliste ? Pop art ? Avant-gardiste ?
À une époque j’étais fasciné par le courant “Bauhaus”. Je trouvais ça incroyable qu’une école, à elle seule, puisse être à l’origine d’un courant qui allait révolutionner pas mal de principes artistiques.
Chacun des courants, à travers les générations, a apporté quelque chose de nouveau.
Les plus “futuristes”, peut-être, pour l’époque se sont les courants Dadaïste et Surréaliste.
Je n’ai jamais vraiment réussi à positionner mon œuvre dans une quelconque catégorie.
Pourtant je n’ai rien inventé! Laissons le temps faire les choses…
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